La semaine de la Qualité de Vie au Travail (QVT) sonne chaque année comme un rappel : le bien-être des collaborateurs n’est pas un luxe, mais un investissement. Loin d’être un simple enjeu philanthropique, la QVT est un levier de compétitivité prouvé : sociétés plus attractives, salariés plus engagés, productivité en hausse. Ces arguments multiplient les initiatives QVT, mais la philosophie reste pourtant difficile à ancrer durablement. En particulier chez les manufacturiers pharmaceutiques qui surmontent des défis spécifiques. La pleine mutation que vit le secteur actuellement offre un cas d’étude pertinent. Les bouleversements (relocalisations, restructurations, fusions-acquisitions, recrutements massifs…), justifient que pérenniser une culture QVT n’est plus une option, mais une nécessité, assurant la réussite des transformations. Dans ce contexte de changements, comment les fabricants de médicaments peuvent-ils préserver la santé mentale des équipes et favoriser l’épanouissement des managers, garants de la performance ?
Il est l’une des figures de proue de l’entreprise, porteur de ses couleurs et de ses valeurs. C’est lui qui transmet les directives et les pratiques endossées par toute la ligne managériale. Il veille à leur application afin de répondre à des objectifs de performance.
Les enjeux portés par cette fonction pivot sont souvent un facteur de pression et alimentent un stress qui peut impacter les collaborateurs. La place du manager dans la hiérarchie, son implication active dans les processus de décisions et son rôle de transmetteur lui valent en effet d’être (et de plus en plus !) vu comme responsable de la santé mentale des personnes qu’il encadre.
De fait, les études sur le bien-être au travail mettent régulièrement en exergue les relations salariés/managers comme sources du mal-être en entreprise. Pour exemple, le baromètre « Absentéisme 2023 » de Malakoff Humanis présente des chiffres en hausse :
La réindustrialisation opérée actuellement sur le territoire amène son lot de répercussions sur les acteurs du secteur. Dans ce contexte, comment le manager peut-il atteindre ses objectifs en respectant l’équilibre délicat entre la ligne de conduite de l’entreprise et le sens que les employés tiennent à donner à leur travail et surtout en préservant leur santé ?
Le manager doit, avant tout, aborder sa mission avec sincérité. Le leadership authentique est reconnu comme un levier du bien-être. La démarche QVT incite donc à rester soi-même dans ses fonctions et être en accord avec ses valeurs et ses convictions profondes (principe de cohérence).
Avoir conscience de soi (connaître ses forces, ses faiblesses, ses valeurs, ses motivations…) permet d’assurer cette posture. Elle dessine naturellement un style de management ouvert et honnête, basé sur la confiance et le respect mutuel. Les leaders authentiques délèguent les tâches et encouragent l’autonomie. Ils sont aussi bien centrés sur les résultats que le bien-être de leurs collaborateurs.
Au-delà de cette posture, il peut intervenir auprès de ses équipes en composant selon 4 rôles sur lesquels il peut s’appuyer :
Le rôle de leader est celui dans lequel le manager est un animateur d’équipe qui stimule l’autonomie et la prise d’initiative. Il doit rester rigoureux, savoir faire respecter les règles et développer son courage managérial (gestion des conflits, décisions, défense des valeurs…) Enfin, tel que prévu par l’accord collectif du bien-être au travail (2020), il doit reconnaître et valoriser le travail.
Le rôle de soutien organisationnel qui consiste, en pratique, à maintenir une relation de proximité opérationnelle, mais aussi à développer et accompagner ses collaborateurs avec des coachings individuels et collectifs, des formations, l’octroi de ressources ou encore la mise en place de postes ergonomiques et agréables. Il plébiscite le travail en équipe et la cohésion.
Le rôle de soutien émotionnel. Selon une étude Forrester de 2023 pour Indeed, l’empathie des managers compte beaucoup dans le bien-être des salariés qui attendent principalement de lui de l’écoute(62 %) et du soutien (49 %), dans des situations difficiles. Le développement de carrière fait aussi partie des discussions souhaitées pour 25 % d’entre eux. C’est pour répondre à ces situations que le manager peut s’appuyer sur une posture compatissante, ainsi qu’une écoute active et une ouverture au dialogue. Il doit être en mesure d’aider les collaborateurs à s’adapter aux changements. Concrètement, cela passe par exemple par l’encouragement de l’expression des ressentis.
Le rôle de communicant implique d’être dans un échange bienveillant, basé sur l’écoute active et de transmettre des informations claires, transparentes, sans langue de bois. Cela passe, bien entendu, par l’expression de marques de respect et de confiance envers leurs équipes.
Cette palette peut être utilisée comme un outil lui permettant de stimuler les 4 objectifs phares de la QVT :
Le secteur pharmaceutique présente des défis etdes opportunités uniques pour la gestion de la qualité de vie au travail (QVT). Pour s’adapter à ces réalités, les managers doivent adopter une posture appropriée en tenant compte des particularités du domaine.
Exigences réglementaires strictes : les managers doivent fournir un soutien supplémentaire (opérationnel, organisationnel et émotionnel), favoriser une communication ouverte et créer un climat de confiance pour aider les employés à naviguer dans un environnement complexe et légiféré.
Processus de fabrication complexes : des formations claires, des ressources et des outils adéquats, ainsi qu’un environnement où les employés se sentent à l’aise pour signaler les problèmes et demander de l’aide, sont essentiels pour garantir la précision et la qualité.
Sécurité des opérateurs : des programmes de sécurité rigoureux, une formation appropriée et une culture de sûreté où les employés se sentent à l’aise pour signaler les dangers et demander de l’aide sont essentiels pour protéger les travailleurs.
Travail d’équipe et collaboration : favoriser un environnement coopératif où les employés se sentent à l’aise pour partager leurs idées et collaborer. Une communication et une coordination efficaces entre les différentes équipes sont capitales pour atteindre des objectifs communs.
Équilibre vie professionnelle et privée : promouvoir des pratiques telles que le télétravail, les horaires flexibles et les congés payés, tout en s’assurant que les employés prennent le temps de se reposer et en décourageant le présentéisme, est essentiel pour le bien-être du personnel dans un secteur exigeant.
En adaptant leur style de gestion à ces réalités spécifiques, les managers peuvent créer un environnement de travail plus favorable à l’épanouissement et à l’engagement.
Le Baromètre 2023 « Santé des salariés et qualité de vie au travail » de Malakoff Humanis révèle des chiffres symptomatiques d’un modèle hiérarchique essoufflé : en 2023, 53 % des managers ont eu recours à un arrêt maladie. C’est 13 points de plus qu’en 2022.
Le rapport souligne le fait que les managers sont doublement touchés par l’absentéisme. Ce sont eux qui absorbent, en premier lieu, les conséquences de l’absence d’un collaborateur : 36 % d’entre eux prennent en charge fonctions et tâches jusqu’à son retour ou son remplacement. S’ils pensent être dans une démarche de soutien bénéfique à l’équipe à ce moment, ce sont eux qui en pâtissent.
Ainsi, si son statut lui vaut d’être considéré comme responsable de l’impact des changements organisationnels, il est lui-même, tout autant atteint par les effets de ces derniers. Après tout, le manager est lui aussi un salarié.
Marie Pezé, psychologue et spécialiste de la souffrance au travail, analyse les liens de celle-ci avec le management. Elle explique que les managers sont imbriqués dans un fonctionnement hiérarchique vertical, typiquement français, qui laisse peu de place à la spontanéité, à l’initiative et au temps d’échanges sincères et naturels.
Quand le manager ressent un malaise à participer à ce type d’organisation du travail, il peut, dans un premier temps, passer dans une sorte de « mode d’automédication ». Cela consiste à prendre du recul et recourir à l’éthique pour réfléchir à la situation puis faire remonter des remarques constructives.
Une démarche QVT correctement pensée sur laquelle il peut se poser doit prévoir, par exemple, de les accompagner et de clarifier leur rôle durant ces phases transitoires. La mise en place d’un référentiel RH peut aider à cadrer les actions à mener quand les équipes doivent tourner en mode dégradé.
Selon elle, cela commence par la nécessité de développer des liens sociaux plus naturellement. Elle entend par là, de moins conditionner les rapports à des rencontres artificielles (afters-work, bureaux attitrés…) et en laissant des temps aléatoires se créer pour permettre à chacun de nouer des relations à sa façon.
Ce point de vue se rapproche de celui de Franck Bietry et Jordan Creusier, dont les travaux, en 2013, ont mis en évidence les quatre relations autour desquelles le bien-être au travail s’organise :
Plusieurs actions d’anticipation peuvent être mises en place pour prendre soin des managers dans le cadre d’une politique QVT :
Unither, CDMO (Contract Development and Manufacturing Organization) d’unidoses basé à Coutances, en Normandie) est un cas concret, mis en avant par l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de vie au Travail)
Laurent Demagnez, le responsable RH du groupe, met en avant le succès de la politique QVT instaurée dans l’usine normande. Celle-ci est mesurable via des indicateurs concrets tels que les délais de libération des lots ou le TRS (Taux de Rendement Synthétique). Il insiste toutefois sur l’importance de ne pas se limiter aux indicateurs opérationnels et de mesurer également la façon dont les employés font leur travail.
Selon lui, le levier managérial est l’un des piliers du succès d’une politique QVT : impliquer les managers est primordial. Tant en respectant la personnalité de chacun, il confirme qu’il est possible de leur inculquer les pratiques QVT de l’entreprise via des parcours de formation ou des espaces de discussion.
Ces bonnes pratiques managériales qui contribuent à la pérennité de la QVT peuvent être résumées par :
Au-delà de l’implication du manager, l’entreprise doit permettre un certain nombre de conditions fertiles pour permettre à la philosophe QVT de prospérer :
Managers et QVT ont un point commun : ils sont chacun un pilier de la pérennité des entreprises et de la santé des collaborateurs. La semaine de la QVT doit être l’occasion d’une remise en question : interroger l’efficacité des actions, identifier les sources d’amélioration, repenser la place du bien-être au cœur de la stratégie d’entreprise. Elle s’inscrit dans un processus d’amélioration continue.
LUGAN CONSULTING vous accompagne tout au long de l’année pour mettre en place ou consolider vos démarches QVT ou accompagner les managers dans les bonnes pratiques et la connaissance d’eux-mêmes.
Sources
Convention collective du bien-être au travail dans l’industrie pharmaceutique
Ateliers citoyens de l’Institut de l’entreprise
Anact : référentiel de la QVT + https://youtu.be/PFGyfoFXOoM
Rapport Forrester / Indeed : Le bien-être en France
Marie Pezé : Quels liens entre le management et la souffrance au travail ?
Franck Biétry et Jordan Creusier – Le bien-être au travail : les apports d’une étude par profils